L'Enfer, c'est les Autres

La norme, première barrière à l’amitié femmes-hommes

enfants AFH

       Il est pour moi inconcevable de ne pas avoir d’amis garçons. Mon premier souvenir, en maternelle, est d’avoir été entourée d’un groupe d’amis avec qui je pouvais jouer dans la cour. Quand il fallait rire, courir, je le pouvais. Mais, quand je me faisais mal, ils étaient aussi là pour me consoler, et non pas me traiter de « mauviette ». Sans compter que dans le lot, j’avais deux amoureux (pas en même temps, mais grâce à cette praticité enfantine qui me fascine encore aujourd’hui, j’arrivais à alterner avec une autre amie pour que personne ne soit désœuvré). Je jouais à la guerre, j’étais considérée comme un ovni par un certain nombre de filles, mais, pour eux, j’étais simplement… leur amie. Pas du même genre qu’eux, certes, mais, puisque je savais mimer un fusil, qu’importe qui j’étais ? Encore aujourd’hui, c’est comme ça que je considère une amitié idéale : pure, simple, au-delà des stéréotypes de genre, où chacun et chacune se contente d’être la personne qu’elle désire être. Alors, pourquoi est-ce si difficile à l’âge adulte ?

       Gott sei dank (Dieu merci, pour celles et ceux qui n’ont pas été convaincus par l’importance de l’allemand dans mon article précédent), je n’ai jamais été une femme qui n’aime pas les femmes. Au contraire, je suis plutôt une aficionada du #Girllove. (Si vous ne connaissez pas ce concept, pour les anglophones, vous DEVEZ connaître la youtubeuse Lilly Singh. Mais je m’égare.) C’est assez simple. J’aime avoir des amis, qu’ils soient hommes, femmes, ou non binaires. Tout comme, enfant, je ne comprenais pas comment on pouvait refuser d’être amie avec tout un genre parce qu’ils sont « nuls », passé la puberté, quand tout le monde a commencé à se regarder avec des airs de merlans frits, je n’ai pas compris ces personnes qui affirment fièrement « ne pas croire en l’amitié femmes-hommes ». Ayant entre-autres une relation platonique avec mon meilleur ami depuis plus de 10ans, j’en aurais raté, de belles histoires ! Et pourtant, ça ne m’a pas empêchée d’être attirée par les hommes, moi aussi. Je ne vais d’ailleurs pas donner de leçons, car j’ai eu l’excellente idée (non) de tomber amoureuse d’un ami à moi cette année…

      Mais, avoir autant d’amis garçons, ça m’a, du moins je l’ai cru pendant longtemps, posé problème. En effet, j’ai été pendant longtemps une grande supportrice de la friendzone.  Sans être au niveau des Incels évidemment, j’ai été longtemps blessée de ne pas réussir à séduire, alors que j’arrivais si facilement à sympathiser.  Moi qui étais si aimable, pourquoi est-ce qu’aucun homme ne voulait de moi ? Car si les hommes se rapprochaient, c’était pour me parler de mes amies… Je me souviens avoir été en colère en lisant Twilight au collège, et pas pour les bonnes raisons. En effet, pour moi, il était aberrant qu’une femme ne tombe pas amoureuse d’un homme qui était doux, gentil, et qui avait toujours été là pour elle ! (Evidemment, je passais alors sous silence le fait que ce bon vieux loup-garou de Jacob agresse sexuellement son amie, et sans le moindre scrupule. Après tout, il était gentil avec elle, ça devrait suffire pour justifier qu’il l’embrasse, non ?).
Heureusement, j’ai appris à me détacher de cette colère, et à apprécier mes amitiés avec des hommes. Déjà, parce que l’amitié n’est pas assez valorisée à mes yeux. Après tout, pourquoi devrait-on être « juste » amis, comme si en faisant cela, on se fermait des portes ? Aussi, j’ai compris que je n’étais de toute façon pas prête pour une relation actuellement. Mais, ces deux constats méritent un article entier chacun. Décidément, écrire pour ce blog, c’est pire encore que combattre un hydre de Lerne !

       Pour moi, si les rapports entre les femmes et les hommes sont si tendus (non pas compliqués, mais avec une tension sexuelle presque constante), c’est parce que nous sommes  hétéro et cis par défaut. Cela convient à une partie de la population, très bien ! Mais ce n’est pas le cas de tous, loin de là… Et ça fait des dégâts. Pourtant, c’est quelque chose que l’on apprend très tôt aux enfants. Deux garçons jouent ensemble ? Ils sont amis, évidemment ! Deux filles papotent ? Elles peuvent être inséparables, dormir ensemble, s’embrasser même, mais ce sont forcément de simples amies. Mais, quand c’est une fille et un garçon. ? Les adultes s’en donnent à cœur joie : « Oh, les amoureux ! » « A quand le mariage ? »… J’en passe, et des meilleures. Pourtant, les enfants aspirent à tellement plus ! Les enfants qui jouent ensemble savent qu’ils ont en face d’eux quelqu’un qui n’a pas forcément les même organes génitaux ou les mêmes vêtements qu’eux, mais qu’importe ? Tout ce qu’ils veulent, ce sont des compagnons de jeu. Ou du moins, c’est comme ça que j’étais enfant. Malheureusement, entre temps, le travail acharné des adultes a fait son office. Alors, comme le sexisme, ça reste : si on parle à une personne du sexe opposé, c’est forcément dans le but de séduire !

       Et c’est avec cette idée en tête que je pensais être « trop gentille » et qu’en 2011, je chantais à tue tête Nice people finish last. Mais la gentillesse n’a rien à voir là-dedans ! Si j’ai eu tant de relations platoniques avec des hommes, qu’ils me plaisent ou non, c’est simplement, je suis dans un rapport neutre avec mes amis. Cela me permet d’être plus proches d’eux que la normale, et je m’en réjouis.  Et peut-être que ça aurait pu me satisfaire, si j’étais non-binaire. Mais j’aspirais parfois à autre chose. Je me sens femme (plus ou moins). Mais avec mes amis, je n’étais pas une femme. Les allemands ont 3 déterminants : der, le, die, la, et das, le neutre. Et voilà ce que j’étais : un.e das ! Les mecs les plus poètes diront que je suis un « mec sans bite ». Et bien, ça ne me convient pas. Si je me considère femme, c’est ainsi que les autres doivent m’accepter. Sinon, je serai incapable d’avoir le moindre rapport de séduction avec qui que ce soit. En effet, si je ne suis pas une femme, comment pourrais-je plaire à un homme qui les aime ? Qui étais-je pour me plaindre de ne pas séduire, alors que je ne me considérais même pas digne d’être séduite ?

       Pour autant, il est hors de question que je perde la pureté de mes amitiés. Je refuse de rentrer dans une vision normée des rapports entre les femmes et les hommes. Je n’ai pas besoin de renier d’être une femme pour être l’ovni que je suis. Il me suffit d’avoir des relations amicales ou autres en dehors des normes et des conventions. Parce qu’après tout, le genre n’est-il pas une construction sociale ?

4 réflexions au sujet de “La norme, première barrière à l’amitié femmes-hommes”

  1. Je n’avais jamais envisagé la question sous cet angle. Cet article m’a fait réfléchir . Encore une fois beaucoup de sincérité et d’authenticité. Merci !

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  2. Comme Julie, je n’avais pas trop vu sous cet angle les relations amicales, car j’aurais tendance à avoir une expérience inverse, à savoir que l’ambiguïté est permanente entre être juste ami.e et avoir des relations plus intimes (émotionnellement et physiquement) car pour moi il n’y a pas de frontière claire entre les deux, et plus on aime quelqu’un.e, plus on le-la trouve beau-belle et plus on le-la désire.
    J’imagine que le sujet est plus sur la sexualité de chacun finalement, quelle place elle prend dans notre représentation du genre et de nos relations inter-personnelles. Mais « das », ou « neutre », ce n’est pas si neutre que ça ! A creuser !
    Merci pour cette réflexion en tout cas !

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    1. Merci pour ta réponse !
      Il faut savoir qu’il ne s’agit que de mon point de vue et non pas d’une vérité. Puisque je suis demisexuelle, j’ai une vision particulière du rapport aux autres et à la sexualité.
      Je pense aussi que lorsque l’on sort du paradigme « hétéro par défaut », les relations amicales sont tout de suite différentes… Mais tellement intéressantes !

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